Chantal
a choisi de consacrer sa vie à l’Algérie, y compris dans la période
d’atrocités que vit ce pays depuis
1991. Malgré les conseils de ses proches, elle y reste. Elle vient de prendre
sa retraite et a décidé d’y rester encore, pour y servir sous une autre forme.
Nous avons pensé que cette étape importante dans sa vie était l’occasion de
faire un bilan avec elle.
Q - L’heure de la retraite a sonné pour toi à la fin de la dernière année scolaire. Peux tu dans un premier temps nous résumer ce que fût ta formation initiale et ta carrière ?
R
- Ma formation a commencé à la pouponnière de Lachaut, année difficile avec
beaucoup de travail et peu de temps,
puisque je voulais m’occuper d’enfants, puis j’ai travaillé une année. J’ai
fait ensuite une formation d’infirmière, à l’école Fauchier, étape nécessaire à
l’époque pour devenir puéricultrice. A nouveau, travail pendant quelques temps
avant de faire enfin ma formation de puéricultrice à l’école Rockfeller.
Ce
fut alors l’entrée active dans la profession que j’avais choisie, à l’hôpital
Debrousse où je faisais les nuits. J’ai essayé d’y apprendre à veiller mais
sans y parvenir.
Q - Ce n’était qu’une étape ?
R
- Oui, depuis toujours je voulais servir, et surtout les enfants, là où les
besoins étaient les plus importants. J’ai donc démissionné et une opportunité
s’est très vite présentée.
La lamentable guerre d’Algérie
se terminait dans le chaos, sous la pression du F.N.L. et de l’O.A.S., les
français quittaient l’Algérie et le pays était complètement désorganisé.
Monseigneur DUVAL, alors évêque d’Alger, a lancé un appel pour que des
volontaires viennent assurer la transition pendant quelques mois. Je suis
partie pour quelques mois..
Q - et a part quelques courtes
vacances tu n’es jamais revenue...
R
- Je me suis retrouvée à l’hôpital d’enfants de Mustapha d‘Alger à l’été 62, où
seul fonctionnait encore un service des petits, avec un médecin qui passait une
demi-heure par jour. J’ai pris en charge ce service. Actuellement, c’est une
clinique moderne avec de nombreux services.
Puis une petite école
d’infirmières destinées aux jeunes filles pieds noirs et située dans les
bâtiments de l’hôpital, s’est regroupée avec toutes les écoles de paramédical
en un grand Institut où l’on m’a demandé d’enseigner. C’était le 1er janvier
1963. J’enseignais dans ma spécialité, les enfants mais aussi bien à des
puéricultrices, qu’à des infirmiers ou des sages-femmes
La particularité de cet
Institut, c’est que les enseignants allaient avec leurs élèves pour les stages
pratiques qui avaient lieu le matin, qu’ils soient sociaux ou hospitaliers, et
les cours avaient lieu l’après midi., méthode efficace que j’ai conservé
jusqu’à la fin de ma carrière.
Q- Tu étais payée par la France
dans le cadre de la Coopération ?
R
- Au début, j’étais payée d’abord par l’hôpital Mustapha puis par l’Institut.
La Coopération n’est intervenue qu’en 1966, et j’ai été salariée dans ce cadre
jusqu’en 1986
Q- Tu enseignais en français ?
R
- Oui, et c’est un des problèmes importants. Toute la formation jusqu’au Bac
est faite en Arabe alors que
l’enseignement supérieur est fait presque exclusivement en Français. Mais,
heureusement, les Algériens sont doués pour les langues...
Q - Puis il y a eu la période du
désert ?
R
- En 1986, changement d’orientation politique ; on ne souhaitait plus
d’étrangers dans les grands centres urbains et tous ont dû partir à la
campagne, dans le bled, ou dans le désert.
Je me suis retrouvée à l’Oasis
de Ouargla, dans une toute petite école, ou les élèves sages-femmes étaient
très en retard dans leur formation, et j’ai dû mettre les bouchées doubles dans
mon enseignement.
Heureusement à cette époque, ma
sœur Christiane et Michel m’ont donné un sérieux coup de main pour m’adapter à
cette situation.
Je ne suis resté à Ouargla que deux
ans. Bien que je n’ai toujours pas obtenu la nationalité algérienne demandée
depuis longtemps, j’ai été rappelée à Alger. Mais cette expérience a été
intéressante. Elle m’a permis de connaître les populations du désert, la vie en
oasis avec ce que cela comporte d’isolement.
Le retour a été difficile aussi,
puisque je n’avais plus d’appartement ; c’est en 1989 que je me suis installée
à l’appartement de El Arrach ou je suis actuellement.
Q - El Arrach est un quartier
populaire, et la situation s’est vite dégradée ?
R
- Je n’y étais pas connue ; c’est un quartier de passage pour entrer ou sortir
d’Alger. A partir de 1991, il devint difficile de circuler, de faire ses
commissions, et pour couronner le tout, une bombe a détruit mon appartement.
Les réparations ont duré 6 mois
et l’Institut m’a logée pendant ce temps. Plus question de circuler et ce sont
mes collègues algériennes qui me faisaient les courses indispensables. Il faut
préciser qu’il ne restait plus qu’une seule enseignante européenne, une Luxembourgeoise.
Q - A ton retour du désert tu as
repris les mêmes types de cours ?
R
- J’ai repris des cours de pédiatrie, et j’ai constaté à quel point les
maladies infantiles avaient évolué. Dans les années 60/70, c’était des maladies
infectieuses, de malnutrition, qui ont presque complètement disparu, au profit
de maladies onconlogiques, cancers de toutes sortes, ce qui m’a beaucoup
attristé. Ma carrière s’est ainsi
poursuivie jusqu’en Septembre dernier, où j’ai arrêté définitivement.
Q - Avais tu pensé à ce que tu ferais après ? Tout le monde ici espérait un peu te voir revenir en France....
R
- Pas vraiment, mais en mars 97, Monseigneur Tessier, évêque d’Alger y a pensé,
et m’a demandé si je voulais prendre la responsabilité de la Maison Diocésaine
d’Alger. C’est une maison d’accueil où se croisent et se retrouvent toutes les
communautés chrétiennes, pour des conférences, réunions, formations ; elle
abrite aussi ce qui correspondant au Secours Catholique, qui fait un gros
travail auprès des populations Saraoui.
Elle vit avec 10 à 12
permanents, mais reçoit des groupes de
30 ou 40 personnes parfois. Il faut loger et nourrir tout ce petit monde.
Elle est aussi le recours dans
les situations dramatiques que nous avons connu, pour accueillir les communautés
obligées de fuir la barbarie. Accueillir les familles éprouvées par les
assassinats, où même les journalistes venus couvrir les drames qui ont été
médiatisés, comme l’assassinat de 7 moines à Tibérine.