C’est à Hélène, la fille aînée de Gaston, fils d’Eugène, que nous devons cet aperçu de ce qu’était la vie des mineurs quand le charbon avait encore une part capitale dans l’économie française.
Si Gaston était « Monsieur l’Ingénieur », les risques et les fêtes étaient partagées par tous.
« La fosse de l’Escarpelle avait,
après la guerre de 14, 900 mineurs au fond et 100 à la surface. Il y avait 12
chefs de quartiers (chantiers), appelés porions .
La
mine comportait deux étages : -220 et
-300 mètres. Le puisard de récupération des eaux d’infiltration à -400 mètres.
Le
mineur porte sur la tête un « béguin » sous la « barrette »
de cuir, il emporte « sin briquet dinch’
s’musette » pour la pause.
Dans sa musette au retour, il a une « raccourche », longueur de vieux
bois de mine à fendre pour allumer son feu le lendemain. Il y avait une forte
proportion de polonais (le village comptait 2000 polonais sur 5000 habitants).
Le
« galibot » était embauché après le certificat. Quand papa m’a fait
descendre en 1938, l’après-midi à une heure où on ne l’attendait pas, la
nouvelle allait plus vite que nous :
« c’est l’ingénieur qui descin sin galibot »
La
grande hantise du métier, c’est la sécurité et le sauvetage. Pour un effectif
comme celui de la fosse 10, on estimait les pertes à 10 morts par an mais
heureusement le chiffre était moindre. Tous les mois il y avait exercice ; il
fallait s’accrocher les lourds appareils respiratoires sur le dos, avec les embouts au goût de vieux caoutchouc
; passer dans une buse de ventilation, etc...
Le
grisou se trouve surtout dans le charbon gras (goudronneux) ; par exemple, à la
fosse 8 à Courcelles, le terril prenait feu spontanément par grand vent.
Papa
avait la responsabilité de la deuxième vague de secours, prête à relever la
première, sur place. Nous avons connu des soirées d’attente... Un accident
avait très marqué Papa ; c’était à la fosse 6, un mineur était coincé sous un
gros bloc mais n’avait rien de cassé ; il leur avait parlé tout le temps et la
pierraille ne cessait de tomber de plus haut. Enfin heureux d’un long
sauvetage, ils l’avaient remonté; et il mourut devant eux, au jour. A l’époque,
il aurait fallu un caisson de décompression. »
En
1944, après chaque bombardement sur Douai, c’étaient les mineurs qui se
montraient les plus efficaces pour étayer, déblayer, secourir...là encore, il
fallait attendre et souhaiter qu’il n’y ait pas une nouvelle vague de
bombardiers...
Comme
dans toutes les corporations où l’exercice du métier est difficile et
dangereux, il y avait des jours de grande fête. Pour les mineurs, comme
d’ailleurs pour les pompiers et les artilleurs, c’était la Sainte-Barbe qui
marquait l’année.
« C’était
la grande fête. Pas d’école. Grand-messe à l’église remplie presque
exclusivement d’hommes endimanchés : chapeau mou, veste noire et pantalon rayé
que l’on met aussi pour les enterrements.
Après,
petit tour à « l’estaminet » pour boire un café arrosé d’un
« bistouille », avant d’affronter les femmes qui ont tout briqué dans
la maison, même les appuis de fenêtre et les soubassements ; un bon pot-au-feu,
une tarte au lait « bouli » et rendez-vous chez le chef porion pour
arriver tous ensemble chez l’ingénieur auquel on fait un cadeau collectif.
Toute
la maîtrise est là : chefs porions, porions, géomètre, comptable, boutefeu,
machiniste, électricien, et chacun y va de sa chanson. Papa y va aussi de la
sienne et tout le monde reprend en choeur le « p’tit quinquin » ou
d’autres moins convenables.
On
offre café, cigares, cigarettes, gâteaux, champagne, truffes maison et on se
raconte la dernière de « Cafougnette » (personnage imaginaire, un peu
naïf) :
...arrivée
dans la cour de la caserne des dernières recrues. Le capitaine dit à l’un : que
faites-vous dans le civil ?
- Pompier, mon capitaine
- Etes-vous souvent appelé ?
- Je sors à chaque fois qu’une voiture
s’arrête à la pompe..
- Vous êtes donc pompiste... Et
vous, le suivant ?
- Fumeur mon capitaine
- Ce n’est pas un métier !
- Ben... je m’occupe des cheminées...
- Donc vous êtes fumiste.. Et vous ?
Vous vous appelez Cafougnette ?
- Oui mon capitaine, mais je n’sais
plus vous dire si je suis mineur ou ministre...
A
la nuit tombée, tout le monde était bien gai et content de sa journée !